Ha Salon
« Tel Aviv : le Salon en folie d’Eyal Shani »
Pour parler de ce restaurant, qui est plus qu’une table en vogue, mais bien un lieu de mode, la créant la devançant, un phénomène social, un événement permanent (si l’on peut dire, même s’il n’ouvre que deux soirs par semaine, avec une réservation guère aisée), il faudrait du bruit, de la musique, de la fureur, des vidéos, une splendide bande son, un récit picaresque, davantage qu’un compte-rendu froid et clinique. Sur la grande table desserte de la cuisine qui est comme une scène de théâtre, se proposent quelques uns des meilleurs produits d’Israël du moment. Derrière les fourneaux, une rangée de chefs impassibles, mis en place par le grand manitou du lieu Eyal Shani (Miznon, Port Saïd, Romano, North Abraxas). Et tandis que la salle s’anime, bouge, crie, danse, cette brigade de choc travaille à faire plaisir sans manière au gré d’un registre simple et superbe à la fois.
Si vous connaissez Balagan à Paris, créé par son confrère, concurrent et ami Assaf Granit, vous aurez une petite idée de l’esprit du lieu. De plus, si vous connaissez Miznon, signé du même Eyal Shani, rue des Ecouffes, dans le Marais, vous avez une idée du style culinaire maison. Ajoutez y une mise en scène discrète mais diablement efficace, un service qui fait face à la furie et au succès avec minutie, vous emmène les mets en rafale sans jamais se tromper. Tout cela se passe dans un lieu improbable du nord de Tel Aviv, un cabanon genre hangar dans une rue sombre, non loin de gratte-ciels nouveau style.
Ajoutez qu’à moins d’être hébraïsant, on est un peu « lost in translation« . Qu’il vous manquera sans doute quelques codes. Mais le lieu en vaut la chandelle, comme la cuisine, les produits, le style, l’ambiance unique. On est à la fois au restaurant et au théâtre, en boîte et au concert. On se dit, en regardant autour de soi, qu’on a bien de la chance de vivre là un événement, et l’on passe une soirée formidable qui … explique la montant de la note qui fait grincer de nombreuses dents sur les réseaux sociaux. Il faut bien dire que la qualité se paye, l’artisanat aussi. Et ça en est, spectacle et qualité gourmande savamment mêlés.
On peut disserter encore sur la carte des vins qui met en valeur les grands bourgognes autant, sinon plus que les vins d’Israël, la manière gentille du « maître d’hôtel-sommelier » de pousser à la « conso » sur les grands crus, et conseiller, en dépit de l’avis du dit-sommelier, l’excellent pinot noir de Yarden, qui constitue à 260 NIS (soit tout de même 65 €) la bonne affaire du lieu, indiquant que le nouvel Israël des vins sait rivaliser avec un excellent volnay ou même un gevrey-chambertin et que les cépages du « Nord » réussissent bien sur le plateau du Golan à plus de 600 mètres d’altitude.
Bref, tout ici a du caractère, de la verve et du tonus. Et ce que vous mangerez là dépendra des arrivages du jour: splendide foccacia craquante et sa crème fraîche à la tomate, légumes de Jérusalem apportés sur une écorce d’arbre avec une jolie burrata, carpaccio de bar macéré à l’huile d’olive et au citron, calamars et pesto, courgettes et fenouil, blettes et gombos mijotés à la tomate, daurade rôtie dans sa cocotte apportée fumante avec ses splendides légumes au thym, tendre et juteux carré d’agneau avec ses courgettes à la coriandre et enfin la planche des desserts avec fondant au chocolat, tarte sablée au citron, tarte aux abricots, sans omettre le « trou digestif » que constitue l’exquise eau de vie de cédrat.
L’ambiance est folle, le son monte, les dames et demoiselles dansent en choeur. In fine, on brûle des herbes sur les fourneaux comme pour un grand feu géant, si bien que l’on croit que c’est le restaurant qui flambe. Bref, on aura passé là une folle soirée, douce, bruyante, bouillante, brûlante, bref, formidablement vivante et animée.