La Villa Archange

Il vient d’avoir deux étoiles direct chez Michelin, sans passer par la case une (comme Jean-François Piège et  l’Atelier de Joël Robuchon/Etoile  à Paris). Ou, plutôt, Bruno Oger vient de retrouver, après moult investissements au Cannet, dans un villa reconstruite à sa mesure, avec vaste parking, grande terrasse, joli bar coloré, bistrot/brasserie pour cent couverts et restaurant exclusif pour 26 couverts, pas un de plus, les deux macarons dont le Michelin le gratifia jadis à la Villa des Lys du Majestic.  Il est vrai que ce natif de Lorient, formé à l’école hôtelière de Dinard, passé au Cardinal à Belle île, puis au château de Locguénolé à Hennebont,  qui fut le second de Georges Blanc à Vonnas, a su garder une rigueur toute bretonne, rare sur la côte.

Ce bon élève, qui fut l’envoyé de Blanc à l’Oriental de Bangkok, avant d’être le maestro du Majestic (il y supervisa notamment la création et le patient du Fouquet’s Barrière à Cannes) a trouvé son havre dans le bourg résidentiel du Cannet. Il est devenu, sans crier gare, une star latine, mais discrète, jouant avec talent  le maestro discret proche de la Croisette. Ce bûcheur né gère son bistrot/brasserie de charme où l’on peut manger pour moins de 30 €, ses salons de charme où il expose les tableaux mi-baroques, mi-naïfs et très colorés, flirtant avec l’expressionnisme, de son épouse, enfin sa table de haute volée où il sert sa vingtaine de dîneurs en sur-mesure, avec une mise de table fort soignée.

C’est là, bien sûr, qu’il faut le découvrir. Bruno Oger, marieur de saveurs éprouvées, classique dans l’âme, mais sachant renouveler sa palette, bref homme de l’Ouest rompu aux traditions du Sud, sans se laisser happer par elles, donne là  sa mesure agile. Son joli et riche méli-mélo d’artichauts poivrade et truffe noire avec huile de noix comme son loup de ligne aux coquillages avec ses deux pommes – pomme Granny Smith en bâtonnets, pommes de terre Agria au caviar d’Aquitaine – , le montre tel qu’en lui-même : ciseleur de produit de luxe, sachant leur faire rendre un son autre.

Il lui arrive de donner dans le gadget esthétisant, comme avec ces asperges en gelée façon « spaghetti verts », sans grand goût, quoique jolis à l’oeil, flanquant de (savoureux) cromesquis aux oursins et ris de veau, comme ces grenouilles décortiquées à l’ail doux avec des palourdes qu’une émulsion au vin jaune cache, d’intempestive façon, à la vue du dîneur, sans omettre ce granité noix de coco/avocat présenté en bloc de glace façon iceberg miniature.  Amusant et frais, il est vrai.

Reste que le « vrai » Oger, celui qui prouve le mouvement en marchant, se retrouve avec son risotto Carnaroli sublime, digne d’un grand Italien, avec sa fondue de pistes, sa tomate cœur de bœuf presque fondue, son Parmesan Reggiano, tel qui nous fit pâmer d’aise jadis à la Villa des Lys.  On y ajoute le foie gras des Landes à la truffe noire en strates ou la classique volaille de Bresse Albufera, sauce foie gras, crèe et truffe, qu’il propose dans un royal menu du déjeuner (à 70 €: une affaire!):  assez pour se donner envie d’avoir là ses habitudes.

Les desserts de son pâtissier  Sylvain Mathy, dont un sublime traou mad avec sa crème brûlée à la vanille aux fruits exotiques, sont bien dans la ligne du maestro Oger : oser le balancement circonspect, sans se perdre, ni brusquer, entre tradition et création. Attention à ce que les branchés de la côte ne le croquent pas tout cru et que le gadget façon bling bling s’efface chez lui sous la marque du classique chic qui est la sienne. Un repas chez lui reste une promesse de bonheur.