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Hommage à François Nourissier

Article du 16 février 2011

François Nourissier © Maurice Rougemont

Il était mon père en littérature, un parrain attentif (je lui dois le premier prix Chardonne et le prix Genevoix pour « l’Amour du Pays »). Il me pardonnait mes inclinaisons gourmandes, car il savait que je gardais en moi l’amour de la littérature chevillé au coeur. Nous avions en commun nos racines lorraines. J’avais écrit « le Devoir de Français » (j’allais écrire « le Devoir de François ») en pensant à lui. L’art et la manière, les chapitres courts, les titres brefs, mais significatifs, le souci des racines, de l’extraction petite bourgeoise, l’attention extrême aux autres, non le mépris, ni le dégoût de soi, mais le souci de l’aveu juste et ramassé: voilà ce que j’ai retenu, ce que nous avions appris du « Petit Bourgeois », d’une « Histoire Française », du « Musée de l’Homme », sans omettre « Bleu comme la Nuit » qui débutait ainsi (et je cite de mémoire):

« L’été 47 fut beau comme un été de guerre. On n’avait rien vu d’aussi éclatant depuis la débandade de 1940, avec ses villas louées en hâte du coté de la Baule, depuis le grand jeu de 44, où juin et juillet passèrent à piquer des petits drapeaux sur la carte Michelin. Mais l’été 47, qui sonne parfois dans ma mémoire avec des éclats de soleil, parfois y dure comme une chanson paresseuse, l’histoire n’en retiendra rien : ce fut une excellente année pour les muscadets. Je venais d’avoir vingt ans. »

Et puis tant d’autres qui resteront nos livres de chevet. J’écris là entre deux moments de montagne où son ombre passe. Je me souviens qu’il s’occupait, juste après guerre, de l’accueil d’étudiants européens, dans un home de Combloux face au Mont-Blanc. Et qu’il skiait à Courchevel (c’est bien le moment d’y songer!), en compagnie de ses copains Maurice Rheims et Jean d’Ormesson, résidant, avec eux, en trio complice à l’hôtel des Neiges, que tenait Henry Benoist et où le chef de réception, l’animateur d’alors se nommait Régis Bulot (lui, qui, le premier me fit connaître les arcanes de la station). Je me souviens encore de lui, à Caux, en Suisse, dans son chalet des hauts de Montreux, face au Léman. Et dans sa maison de Ménerbes, au coeur du Luberon. Et puis dans sa demeure à l’anglaise d’entre la Muette et Auteuil, rue Henri Heine, non loin de la rue du Docteur Blanche. Comme de son amour de Metz (« la fidèle », écrivait il) et de sa – de notre – Lorraine, lui, dont le père était originaire d’Avocourt-en-Argonne. Je lui dois mille choses, et je me récite, par coeur encore, la fin du « Maître de Maison » qui évoque la fin d’un récit droit et dur, celui d’un homme se fissurant comme sa maison, comme « les jours, comme les vies » – comme celle d’un ruisseau incertain qui s’évanouit dans l’incertain du sable.

« On se demande toujours comment finiront les récits. La réponse est simple: comme les jours, comme les vies. Cela dure, dure, il n’y a pas de raison pour que cela  jamais s’arrête. Les hypothèses ne sont elles pas innombrables, les épisodes nombreux ? Mais quelque part le silence veille. Il intervient. Quelle surprise quand soudain l’histoire, au détour d’une page, s’ensable dans le vide de la page et s’y perd, ainsi que font dans le désert, dit-on, certains ruisseaux »

François, sache, où que tu sois, qu’avec tes livres toujours vivants, nous pensons à toi.

A propos de cet article

Publié le 16 février 2011 par

Hommage à François Nourissier” : 1 avis

  • Régis Bulot

    Bravo Gilles,
    Bel hommage à un grand écrivain, un homme délicieux et très attentif aux autres.
    Avec ses amis jean d’Ormesson et Maître Maurice Rheims, il aimait skier avec Pierre Grunberg, l’une des plus grandes figures de l’école de ski.

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