D’après une histoire vraie »: comme dans ces films américains qui évoquent les vies incroyables ou impossibles, l’avertissement placé en liminaire de ce livre (excellemment) traduit de l’allemand par Pierrick Steunou, dit tout ou presque de ce qui va se révéler. Katharina Winckler qui est viennoise, universitaire, et dont c’est là le premier roman, évoque l’existence tragique de Filiz, née dans un village de Turquie, mariée à 13 ans, après avoir fui sa maison, à son bel amoureux, le jeune et séduisant Yunus, qui va se révéler une sorte de bourreau ordinaire. Les « bijoux bleus » qu’évoquent le titre sont les coups dont son époux la « décore ». C’est écrit poétiquement, presque naïvement, comme une confession à mi-voix. Le regard – sans pitié – de la belle-mère (« l’araignée »), la sexualité vécue comme un viol consenti, la claustration dans une maison de la campagne turque, avant Istanbul et l’Autriche, les coups et la maternité, l’obsession de la modernité, que symbolise le port des jeans ou l’apprentissage de la langue allemande: voilà ce que raconte cet ouvrage bouleversant, qui ne se présente jamais comme un document, mais comme une fiction trouble, épique, douloureuse. On songe, bien sûr, à « Mustang », le très beau film de Deniz Gamze Ergüven, qui évoquait la claustration de cinq jeunes soeurs en Turquie, leur pétulance, leurs essais de fuite vers la liberté. L’héroïne de Katharina Winckler semble plus résignée. Mais la rédemption est au bout du chemin. Voilà un de ces livres « vrais » dont on ne sort pas indemne.

Les bijoux bleus de Katharina Winkler, traduit de l’allemand par Pierrick Steunou (Actes Sud/Jacqueline Chambon, 240 pages, 21 €).