Une douceur de chloroforme de Patrice Delbourg

Article du 31 août 2017

Patrice Delbourg, on vous en a parlé il n’y a guère. Ce drôle de paroissien des lettres, doué d’une mémoire phénoménale, capable de vous réciter ses poèmes favoris à l’envers, d’ahaner la liste de ses écrivains de prédilection (avec la date de leurs oeuvres) comme de ses joueurs de football fétiches (et leurs différents clubs) en un tournemain, renouvelle sa palette en demeurant fidèle à lui-même. Le héros de son nouvel opus se nomme Jim Baltimore (de son vrai nom Anatole Glimpse). Il est le frère de lait, le jumeau astral, le cousin voisin, le double version Janus d’un certain Blatte, d’Antonin Chapuisat et de tous les personnages qui sont les figures (de style) de ses précédents ouvrages. Il se distingue par son insensibilité chronique à la douleur. Il ne se contente pas d’être imperméable au chaud comme au froid, mais décide de se poser en homme invisible dans un monde qui le révulse. Les attentats, crimes, souffrances et autres absurdités de l’époque le justifie dans son retranchement. Solitaire, guère solidaire, il se débat entre lui-même et les autres, joue sa propre carte, se montre indifférent à autrui, joue de la vie en solo comme d’autres de la clarinette ou du banjo.

Son pessimisme, sa misanthropie, son vision noire du monde pourraient révulser s’ils  n’étaient pas trempés dans une encre non seulement sympathique, mais humoristique. Ses diatribes contre les touristes (pp 66-69), son plaidoyer pour la carafe d’eau plate dans les restaurants (pp 19-20), ses emportements contre les tatouages (ppp 190-191) valent leur pesant de lecture et pourraient figurer dans une anthologie du bon sens. As du calembour, orfèvre du mot rare, badigeonneur d’adverbes et jongleur d’adjectifs, Delbourg nous ravit par son écriture riche comme des poèmes. Il possède l’art de pratiquer l’alexandrin en prose. Certes, son récit n’avance guère et comme toujours, son roman ressemble à un portrait en pied, mais si riche, si dense, si narquois, si complice, qu’on se prend vite à relire une phrase après l’autre, qui ressemble à une leçon de vie. « Se montrer, c’est se diminuer. Filer doux, c’est s’épargner. Agir fatigue. Penser accable. Respirer étonne encore. Vivre surprend toujours. La solitude se travaille, comme le bois avec la gouge. Par brefs pizzicati de chic. »

Une douceur de chloroforme de Patrice Delbourg (Le Castor Astral, 238 pages, 18 €).

 

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Publié le 31 août 2017 par

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