Les malices littéraires de Pauline Dreyfus
De Pauline Dreyfus, on avait louangé et beaucoup aimé « Immortel, enfin« , fantaisie littéraire, qui contait l’accession tardive de Paul Morand à l’Académie Française. Elle y mettait en scène des personnages réels dans des situations authentiques, avec un sens du récit qui est celui d’ironie malicieuse. Même procédé dans ce délicieux « Déjeuner des barricades » qui raconte le 22 mai 1968 et la remise au Meurice du prix Roger Nimier à Patrick Modiano pour « la Place de l’Etoile » en présence de sa généreuse donatrice Florence Gould. Tout se passe, dans un Paris occupé à lancer des pavés, changer la vie, du moins s’y essayer et revendiquer l’autogestion dans les entreprises, y compris dans les palaces. Pauline Dreyfus mixe tout cela avec talent. Salvador Dali, Paul Morand, Antoine Blondin, Marcel Jouhandeau sont là, présents, en chair et os, avec leurs humeurs, leur humour, leur pessimisme, leur drôlerie, leur méchanceté, leurs préjugés. Jacques Chardonne, qui n’a pu quitter la Frette, est excusé.
Un notaire de Montargis (Gâtinais), très malade, et qui réside au 6e étage, a été invité pour faire nombre. Il est l’un des seuls à avoir lu le livre primé, qu’il a acheté le matin même chez Galignani. Il va tenter de bavarder avec ce lauréat, grand, dégingandé, si peu loquace. Demander sa dédicace. On ne racontera pas l’issue, mais on glissera que Pauline Dreyfus, qui joue avec les nerfs du lecteur, comme avec ceux de ses personnages, dont l’attitude durant l’Occupation ne fut pas bien nette, évoque, en parallèle, d’assez drolatique façon la présence ici même de Von Choltitz, le sauveur de Paris, le commandant du « Gross Paris », qui refusa d’exécuter l’ordre d’Hitler. Paris ne sera pas détruit en juin 1944. L’Assemblée Nationale, qui doit voter une motion de censure, ce même 22 mai 1968, ne fera pas tomber le gouvernement du Général. On l’a saisi: ce roman mi-vrai, mi-rieur, est une réussite assez cinglante. La lecture achevée, voilà qu’on s’apprête à relire « la place de l’Etoile »… Un roman qui incite à lire et à relire, n’est ce qu’on appelle une morceau de bravoure ?
Le Déjeuner des barricades de Pauline Dreyfus (Grasset, 232 pages, 18,50 €).
Les très bons « Immortel, enfin » et » Ce sont des choses qui arrivent » étaient déjà de vrais plaisirs de lecture. Votre critique m’incite fortement à lire ce nouveau livre de Pauline Dreyfus !