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Quand Laurence (Jyl) raconte Alphonse (Boudard)

Article du 4 février 2011
Ce que je sais d'Alphonse

Ce que je sais d’Alphonse

Je me souviens du prix Renaudot d’Alphonse Boudard attribué pour « les Combattants du Petit Bonheur » (La Table Ronde, 1977). C’était au Pont Royal qui possédait encore son look d’avant, boisé, patiné, très 1950. Roland Laudenbach, l’éditeur des Hussards et de l’Alphonse qui en était la pièce rapportée (ou rapiécée), avait invité le grand chic de la presse littéraire (j’étais, à l’époque, aux Nouvelles Littéraires), le ban et l’arrière-ban de la littérature de droite et du centre-gauche), mais aussi les amis d’Alphonse, qui était, rappelons-le, un ancien taulard rattrapé par la grâce (de l’écriture), avait écrit « la Métamorphose des Cloportes« , porté à l’écran avec le succès qu’on sait par Pierre Granier-Deferre, avait obtenu le prix Sainte-Beuve pour la Cerise et était considéré comme une sorte d’héritier en ligne directe de Céline. Je vous passe le reste.

Alphonse Boudard et ses potes à la Tour de Montlhéry en 1994 © Maurice Rougemont

Ce qui était extraordinaire, ce soir là, c’est le formidable mélange de personnages rassemblés autour du lauréat et qui faisait notre admiration sincère et épatée à moi, bien sûr, mais aussi à Robert Sabatier, venu tout exprès de la soirée Goncourt, et de mon vieux pote Jean-Claude Lamy, qui avait alors en charge la rubrique littéraire de France-Soir. Laudenbach et ses auteurs chéris ou fétiches, Déon, Laurent et quelques autres, mêlés si l’on peut dire à quelques malfrats anonymes de haut vol, avec grands chapeaux à la sicilienne et poules de luxe (ou prostituées de haut vol…), ça vous avait une allure très cinématographique à la Audiard. Du moins, c’est ce que nous suggérâmes.

Je rapporte la chose pour l’anecdote. Plus de trente ans après, s’il y a prescription, il y a aussi la couleur du mythe. Auquel Laurence Jyl apporte aujourd’hui sa note intime. Cela s’appelle simplement « Ce que je sais d’Alphonse ». C’est également (comme le Renaudot d’Alphonse) publié à la Table Ronde et il y a là la belle et riche matière d’un roman vif, drôle, picaresque avec aussi et d’abord le souci de l’authenticité. Durant vingt ans, il est vrai, Laurence Jyl fut la compagne d’Alphonse Boudard, sa « femme pas officielle », mais aussi la mère de son fils, son accompagnatrice lors des croisières culturelles et des festivals de livres. L’auteur du « Mari de Maman », qui est aussi un auteur de théâtre à succès et la fille aimante et aimée d’Yves Jamiaque, qui fut aussi, en son temps, un dramaturge et un scénariste largement fêté, raconte cet amour semi-caché avec un mélange d’humour, de malice, d’émotion, de fausse naïveté qui est sa marque.

Alphonse en scénariste zélé, en danseur improvisé, en croisiériste qui s’amuse sous le regard critique, mais complice, des Dutourd et des Nourissier, Boudard le dur, Boudard le tendre. Ses cadeaux surprises comme ces mystérieuses boîtes de caviar à Noël ou ce tailleur cuir offert sous sac plastique, dont Laurence préférait ignorer la provenance, sont d’abord des sujets d’amusement. Alphonse, l’ami des bourgeois et des malfrats, l’écrivain prolifique, le scénariste à tête multiple (l’épisode du tournage en Normandie du Chêne d’Allouville avec un producteur péquenaud et loufoque: vaut à lui seul son pesant d’humour). Tout est là, dit avec tendresse, vigueur, justesse.

La belle Laurence sait se retirer du jeu avec charme, quand il le faut, joue la dame de l’ombre sans trémolo, cuisine chez elle, dans son petit appartement du 13e garni de peluches pour les académiciens qui se prennent au jeu de Boudard l’imprévisible, apprend tristement, d’une voix amie, la fin de son amoureux et ne peut assister à son enterrement. C’est là un bel hommage amoureux, certes, mais d’abord un magnifique portrait en creux. A lire et à méditer.

Ce que je sais d’Alphonse, de Laurence Jyl (La Table Ronde, 217 pages, 16 €).

A propos de cet article

Publié le 4 février 2011 par

Quand Laurence (Jyl) raconte Alphonse (Boudard)” : 2 avis

  • Doubroff

    Bonsoir

    Dans votre texte je retrouve la femme discrète, compagne d Alphonse Boudard.
    Je la rencontrai voilà une dizaine d annees aux Sables d’Olonne. Elle passait alors une semaine tous les ans à la thalasso où je chantais de temps en temps…un soir discrètement elle me demanda si je connaissais Alphonse Boudard. Je me souvenais alors d un texte que Michel Tournier avait consacré à cet écrivain…elle fut toujours discrètement heureuse de rencontrer quelqu un pour qui son compagnon n etait pas un inconnu…petite brunette chaleureuse et forte du souvenir d Alphonse Boudard, elle m a elle aussi laissé le souvenir d etre passée sur terre en échangeant quelques mots encore vivant, comme le sont certains visages…

  • nabos

    j’ai bien connu son fils Pierre Boudon à l’époque ou il était avec moi chez Lancia France à
    Neuilly,et aussi quand il était dans la moto à Fresnes.J’ai perdu sa trace peut-être pouvez vous
    transmetre ce message.
    Avec mes remerciements.Jean NABOS

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