Ce qui reste de Zeruya Shalev

Article du 5 mars 2017

C’est le cri d’une femme, qui a vécu, revécu son histoire, se souvient des dix ans, jour par jour, après lesquels elle a subi cet attentat à Jérusalem, dont elle a réchappé, en partant le matin au travail, mais un peu plus tard que d’habitude, car son mari, ses enfants, ce matin  là, étaient en retard. De ce fracas, cette explosion, qui a embrasé un bus tout à côté, et qui « l’a frappée de toute sa puissance, lui a transpercé le nombril, scié et réduit les os en poudre, écrasé les muscles, arraché les tendons, piétiné les tissus, déchiré les nerfs, ce mal qui tord tout un magma interne dont elle n’a jamais eu conscience, de quoi est fait l’être humain », elle a gardé le souvenir dans sa chère et dans sa tête.

Iris est directrice d’école, frappe sa fermeté, sa volonté d’ouvrir l’école aux autres, d’écouter ceux qui souffrent, tout en élevant, avec son mari Micky, informaticien doué, mais englué dans ses rêves et ses jeux d’échecs, ses deux enfants, Omer et Alma. Tandis que le premier est toujours à l’école à Jérusalem, attend sa convocation pour l’armée, cette dernière est serveuse dans un bar à Tel Aviv, perd peu à peu le fil avec sa famille, se laissant happer par un étrange gourou à l’influence malsaine. C’est en l’aidant à renouer ce fil qu’Iris retrouvera sa raison d’être. Entre temps, elle aura retrouvé son amour de jeunesse, Ethan, devenu médecin anti douleur, et dont elle place le nom dans son carnet d’adresses téléphonique sous ce nom sibyllin qui deviendra le titre de ce livre.

On avait aimé, bien sûr, « Ce qui reste de nos vies », son précédent roman, lauréé par le Fémina étranger 2014, qui, autour d’une mère en fin de vie dans un hôpital de Jérusalem, évoquait les liens tendus, distendus, entre un frère, une soeur, une mère, et qui s’achevait sur un message d’espoir. On est, très vite, envoûté, par ce nouvel opus où le destin individuel, le couple, la famille, sont interrogés, fouillés, questionnés, auscultés, avec une acuité sans faille. Zeruya Shalev, qui a subi elle-même a connu un attentat il y a treize ans, a sans doute usé à de son expérience. Reste, que le rappelle l’avertissement d’usage en liminaire, tout cela est de la fiction… appuyée tout de même sur des faits. Voilà, en tout cas, 400 pages qui se dévorent comme un thriller psychologique et social. S’y livre, avec délicatesse, le destin d’Israël aujourd’hui, mais aussi de personnages intemporels en quête  -possible, impossible?- de la paix intérieure. Voilà un grand roman à l’écriture forte, puissante, mouvante, aux personnages de chair, de sang, qui vous capte avec sûreté.

Douleur de Zeruya Shalev, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz (Gallimard, 400 pages, 21 €)

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Publié le 5 mars 2017 par

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