Dans la tête de Pierre H

Article du 16 novembre 2016

danslatetedepierreh-couvDifficile de parler de son propre livre… « Dans la tête de Pierre H« , c’est la biographie imaginée, flattée, fantasmée, pourrait-il dire, d’un pâtissier célèbre en quête du premier « vrai » macaron, que l’on suit dans ses méandres et son imaginaire. Que tout le monde aura reconnu, à qui d’ailleurs ce bref livre est dédié et qui se découvre ici dans son obsession créatrice. Voilà deux extraits de l’ouvrage pour vous donner l’envie d’aller plus loin…

GP et Pierre H © Hugo C.

GP et Pierre H © Hugo C.

1. Mémoires de macarons

« J’ai des mémoires de macarons comme on a des souvenirs d’amour. J’ai longtemps rêvé de ces jolies constructions croustillantes colorées avec sobriété, douces au toucher, fondantes en issue, qui croquent en bouche comme des bonbons, s’évanouissent avec volupté, sitôt croquées, laissant ainsi une impression suave.

Les macarons ? De l’amour en sucre. Du croquant, de la douceur, de l’amande. Qui fut le premier à l’imaginer ?

Il était une fois, à Damas, en Syrie, un sultan très gros, très replet, très gourmand, qui s’ennuyait dans son palais de marbre et n’en finissait pas de harceler son cuisinier Sali pour qu’il lui prépare de nouveaux délices, pour qu’il lui invente de nouvelles pâtisseries. Il y avait les écœurants loukoums, les pistaches sucrées, les baklavas – ces feuilletés dégoulinant de miel –, les bourek au fromage qu’il arrosait d’un jus de grenade, les cornes de gazelle ou la douce halva à base de pâte de sésame.

Le sultan Bayezid II le juste, fils de Mehmet II, dit le conquérant, que les Français nommaient Bajazet, régnait sur un immense empire entre Trébizonde, Constantinople, les Balkans, la Palestine et la Mésopotamie. Le sucré, c’était son péché mignon. Un jour, son cuisinier, Sali Ben Mechal, qui était aussi orfèvre en pâtisseries et autres délices soyeux, vint le trouver avec une douceur à base d’amandes.

« Votre majesté, cela s’appelle un louzieh », lui dit-il en lui montrant sur un plateau d’argent une de ses friandises friables, à base d’amandes, de sucre, de miel et de blancs d’œuf.

« Un louzieh , l’interrogea son maître, « mais pourquoi donc ?».

« C’est un mystère », lui aurait répondu le cuisinier, assurant à son maître que la dite recette daterait de siècles et de siècles en arrière, autant dire de la dynastie des Ommeyades, qui régnait sur l’empire byzantin, bien avant l’an mil. Lui précisant que louzieh voudrait dire « loué soit dieu ! » en araméen. Et lui rappelant, plus simplement, que « laouz » signifiait amandes en arabe et que le dit gâteau, minuscule, délicieux, si craquant, si friable, aurait été conçu comme une offrande à la fois à Dieu, comme au sultan, son prophète. Et qu’il serait, ainsi, parvenu parmi nous.

Le sultan Bayezid lui aurait alors commandé une tonne de louziehs, dans le but de s’en gaver et d’en régaler sa cour, en rentrant à Constantinople. Il aurait même décoré son cuisinier Sali grand commandeur de l’ordre des croyants. C’était au xve siècle. Mais le premier « vrai » macaron, c’est moi qui l’ai inventé. Alors voilà toute l’histoire : je m’appelle Pierre H… »

Pierre H. et Gilles P. © LS

Pierre H. et Gilles P. © LS

8. Une œuvre d’art

Je suis à un tournant de ma vie, de mon histoire. L’idée du macaron parfait me poursuit. Je rédige des fiches, je note les recettes, j’imagine de nouveaux mariages, des couleurs, des teintes, de la douceur, du piquant, du crémeux, du croquant. Je sens qu’on peut toujours aller plus loin.

Je visite les galeries d’art, je vais dans les musées. Les œuvres de Braque, de Matisse, de Dufy, de Delaunay, de Marquet, de Poliakoff, de Bonnard se bousculent dans ma tête. Je voyage. Tanger, Marrakech, Fez, Essaouira, tout le Maroc, mais aussi l’Italie, l’Espagne, le Portugal, et puis l’Asie, la Chine, le Japon, Hong-Kong, la Corée : des épices, de nouveaux marchés, de nouvelles idées, des parfums qui m’évoquent à leur tour des conquêtes…

Je remplace la confiture qui allie deux coques par une crème fine. J’use des ganaches, mais avec parcimonie. Pour que le caramel ait un goût puissant et persistant, vif et fort, je pousse la cuisson du sucre jusqu’au brûlé. J’y mêle de l’essence de café, je joue avec les blancs d’œufs, le sucre glace, la poudre d’amande, la crème fraîche liquide, le beurre demi-sel.

Je me risque, je mixe, je mélange, mais sans me perdre. Je trouve parfois. Je crée, je goûte, j’innove, je propose des rencontres, j’imagine de nouveaux mariages de saveurs, comme si je recréais un monde avec de nouveaux goûts et de nouveaux noms.

Lesquels ? Mais l’Ispahan, avec le parfum de rose mêlé au litchi et à la framboise. Et le Mogador, avec le chocolat allié au fruit de la passion, le Chloé unissant chocolat et framboise, le Mosaïc avec pistache et griotte, le Montebello, réunissant pistache et framboise. Et encore la rose et le coing, la réglisse et la violette, l’huile d’olive et la vanille. Sans oublier la Mutine pour le chocolat et la noix de coco, l’Infiniment Caramel…

Je cherche le bel équilibre, je taquine l’amer ou l’acide, j’imagine un macaron « PX », avec raisins secs et marinés au cépage Pedro Jimenez venu d’Andalousie côté Jerez, un Fragola aux fraises, un citron acidulé frotté de piment d’Espelette comme en un « jardin subtil », un clin d’œil à l’été avec le fenouil caramélisé, le citron jaune, le sucre Muscovado, le poivre noir de Sarawak… (…)

Dans la tête de Pierre H de Gilles Pudlowski (« Incipit », Steinkis/Prisma, 92 pages, 12 €.)

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Publié le 16 novembre 2016 par

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