Le journal d’un homme heureux de Philippe Delerm
Il y a près de trente ans, du 6 septembre 1988 au 31 décembre 1989, soit dix ans avant le succès phénoménal de la « Première gorgée de bière », Philippe Delerm tient son journal intime. Lui et sa femme Martine, qui sont enseignants en Normandie, décident de travailler à temps partiel, se livrer aux travaux d’écriture, de dessins, de regarder le monde depuis leur demeure de Beaumont-le-Roger. Le soleil qui éclaire la vallée de l’Iton ou la pluie qui tombe derrière la vitre, le jardin, les dalias, les zinnias, les mufliers, les lupins, les roses jaunes ou rouges, les cerisiers Napoléon, les pommiers, le temps, ce formidable avantage qu’il éprouve sur le monde: voilà ce qui frappe Delerm, qui a écrit « Bonheurs, tableaux et bavardages« , s’intéresse aux peintres préraphaélites, rédige « Autumn« , garde le nez et le regard contre la vitre, regarde la peinture qui s’effrite près des carreaux, observe Vincent, son fils, qui sera le futur chanteur que l’on sait, participe, un peu, en s’en défiant, à la vie littéraire, le temps d’une virée à Paris ou à Strasbourg. Il s’échappe aussi le temps d’une virée en Alsace au Howald, ou, dans le Sud Ouest de ses beaux-parents, « à Garonne« .
Il y a les réflexions sceptiques sur le monde comme il va, de tranquilles bonheurs d’écriture, de la douceur, un don aussi de la simplicité sereine, pédagogique pour décrire ce qui, ailleurs, passerait pour de la sérénité béate. En contrepoint, le Delerm aujourd’hui relit ses pages d’hier, éprouve combien alors il était heureux alors, sans excessive ambition autre que d’être un écrivain mieux connu et reconnu. Sa sérénité est communicative, son livre complice, le charme de son écriture intact. Cette simplicité reine, cette sobriété heureuse, comme dirait Pierre Rabhi, voilà sa marque en littérature. Auquel ce journal retrouvé, sauvé de l’oubli, magnifié, participe non sans brio.
Le journal d’un homme heureux de Philippe Delerm (Seuil, 262 pages, 18 €).