Un premier roman: un chef d’œuvre ? En tout cas, un livre qu’on n’oubliera pas. Gaël Faye, 34 ans, compositeur, rappeur,  interprète, y raconte son histoire, avec une telle richesse de vocabulaire et un sens de la narration appliquée si dense, si évident, si vigoureux qu’on songe à un briscard du genre. Début d’explication: « Petit Pays » est déjà le titre d’un des morceaux où il évoque sa situation de métis énergique, fils d’une rwandaise et d’un français, natif du Burundi, ayant quitté ce pays collant au Lac Tanganyka, voisin du Rwanda, meurtri par la guerre civile. Son petit héros, qui se nomme Gabriel ou Gaby, est une sorte de double, conscient, positif, raisonneur. Il vit avec sa sœur Ana dans un quartier privilégié, une impasse verdoyante, où il croise d’autres enfants, Gino, Armand, Francis, les jumeaux.

On n’omet pas, au passage, une grecque érudite, Mme Economopoulos, qui l’ouvre à la littérature, mais aussi des Allemands méchamment excités, les Van Gotzen. Et puis, Jacques, un français colonialiste, mais fort lucide. On n’oublie pas non plus la famille rwandaise de Gaël, sa mère, bien sûr, qui va et vient, son oncle Pacifique (c’est son prénom!), sa grand mère Eusébie. Les querelles des parents – le livre s’ouvre quasiment sur le pourquoi de leur séparation -, la guerre qui gronde, les rivalités tribales des Tutsis et des Hutus, l’impossibilité de vivre dans ce presque paradis transformé en cauchemar, la douceur de l’air, la beauté de la nature, le regret de l’enfance: il y a tout cela ici, qui s’écrit avec un mélange de drôlerie, de cruauté, de tendresse, de nostalgie, savamment dosé. Gaël Faye écrit avec joliesse, force, richesse. Rien n’échappe à son regard. Ni à celui de son petit héros qui va survivre, avec sa sœur, à tous les malheurs qui s’abattent sur les siens. Tout ici est positif, même si le lecteur s’écrie, in fine, comme Jacques – que peu de choses surprennent : « l’Afrique quel gâchis! » Mais tout sonne juste. Il faut lire sans amertume ce beau livre sincère, douloureux, si plein d’espoir, comme ses petits héros.

Petit Pays de Gaël Faye (Grasset, 218 pages, 18 €).