Quand Jardin dénonce Jardin

Article du 6 janvier 2011

Des gens très bien - Alexandre Jardin

C’est un livre courageux, un aveu, une confession, une enquête, une plongée dans les racines familiales. Chez les Jardin, on sait jouer la comédie de père en fils. Jean, le grand père, dit le « Nain Jaune », fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le directeur du cabinet de Laval. Pascal, le père, fut dialoguiste brillant et romancier autobiographe à succès: « le Nain Jaune« , dédié à son propre père, la Guerre à Neuf Ans ou Guerre après Guerre sont des histoires amusantes. Alexandre, fils de Pascal et petit fils de Jean, n’a plus envie de rire. Il a pourtant écrit « le Zubial « en hommage à son père, sans parler du Zèbre et de Bille en Tête. Mais le secret de famille qu’il traine avec lui depuis quatre décennies le conduit à tout révéler. Il reproche à ses amis historiens, comme Pierre Assouline, eh oui, l’homme de la République des Livres, notre blog littéraire préféré, de lui avoir caché la vérité ou plutôt d’avoir mal cherché et d’avoir fait comme si…  alors qu’il rédigeait sa propre biographie du « Nain Jaune ». Bref, Jean Jardin, son propre grand-père serait le responsable n°1 ou 2 ou 3, ce qui revient à peu près au même, de la Rafle du Vél d’Hiv perpétrée le 16 juillet 1942, qui conduisit, sous la houlette de la police française, à l’arrestation de 12884 juifs parisiens, dont 4051 enfants (dépassant ainsi la règle imposée par les Allemands, qui n’avaient demandé l’arrestation  des adultes). Voilà ce que raconte « Des gens très bien« .

Alexandre Jardin © Maurice Rougemont

Alexandre enquête, à Vichy, à Genève, à Vevey, à Paris. Il écrit rue des Saussaies. Ne déterre pas de preuves, mais exhibe ses certitudes et sa terrible mauvaise conscience. Il rencontre une vieille dame toujours nazie, plus d’un demi-siècle après la déportation des Juifs, qui ne lui dit que du bien de ce grand-père qu’il dénonce aujourd’hui. Il s’invente, in fine, une rencontre fictive avec lui à l’hôtel du Parc, siège du gouvernement vichyssois. Rend hommage à Jean-Paul Enthoven, son éditeur, qui l’a conduit à rédiger cette curieuse confession/aveu. C’est peu dire que le livre est réussi: il est à la fois terrible et bouleversant, grave, sincère et d’une déconcertante honnêteté. Au terme de la lecture, on se dit qu’Alexandre n’a ni racheté, ni excusé, ni  même expliqué la terrible faute de Jean Jardin. Et qu’il est d’ailleurs son seul accusateur public. Cet ex-amuseur public ,devenu un historien des siens malgré lui, est aussi devenu un Juste à sa manière apparemment fragile, diablement forte.

Des gens très bien, d’Alexandre Jardin, Grasset (18 €, 298 pages).

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Publié le 6 janvier 2011 par

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