La mémoire d’Annie Ernaux
Ecrire la vie: c’est le titre des oeuvres d’Annie Ernaux rassemblées en un seul fort volume chez Gallimard, où l’on retrouve notamment « les Armoires Vides », « la Place », « les Années ». Aveu, sincérité, franchise, clarté et précision de l’écriture, offerts aux lecteurs comme un miroir: voilà ce qu’on trouve ici. Et l’on se dit que ce titre « général » s’applique fort bien à son nouveau livre. Nous sommes en 1958, l’année du retour de De Gaulle au pouvoir, celle où Dalida chante « Mon histoire c’est l’histoire d’un amour« . Annie Ernaux, qui s’appelle encore Annie Duchesne, veut connaître un début de liberté, une forme d’amour, se distinguant des autres. Elle devient monitrice dans une colonie de vacances de l’Orne, s’échappe du carcan familial, de cette famille de petits épiciers normands dont elle a honte, raconte sa première nuit d’amour, – assez chaotique -, avec un « moniteur-chef » auquel elle se contente d’obéir. S’analyse, se félicite d’avoir essayé. Plus tard, elle lira le « Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir qui l’aidera à creuser son propre sillon et gagner son destin, devient jeune fille au pair l’été suivant en Angleterre, regarde ses amis d’hier avec ses yeux d’aujourd’hui. Annie Duchesne, dont elle parle à la troisième personne, devient peu à peu Annie Ernaux. C’est ce cheminement lent, bouleversant, narré avec minutie, cultivant l’auto-analyse avec brio, qui fait le prix de ce témoignage bouleversant aux airs d’autobiographie distancée, à la fois précis, incisif, finalement intemporel.
Mémoire de Fille, d’Annie Ernaux (Gallimard, 151 pages, 15 €).