Le joli bain de surprises d’Eshkol Nevo
Safed, au nord de la Galilée, c’est la ville des justes et des sages kabbalistes, qui vit un peu à l’écart du monde. L’existence de la pieuse cité va être bouleversée lorsqu’un riche américain, Jeremiah Mandelstrum, décide d’y faire don d’un bain rituel (en hébreu: un mikvé) en mémoire de son épouse récemment décédée. Le maire de la ville, Danino, soucieux de sa réélection, va décider de l’édifier dans un nouveau quartier baptisé la Sibérie où sont venus habiter de nouveaux immigrants russes peu au fait de la religion. Naïm, un jeune Arabe israélien, est chargé de la construction, tandis que les deux héros de ce livre truculent et épique, autour desquels se bâtit un récit choral, Moshik dit Ben Tsouk, ancien kibboutznik saisi par la religion, et son amour de jeunesse, la belle Yahélet, qui après ses années au kibboutz a vécu en Inde, vont retrouver ici une nouvelle occasion de s’aimer. Chacun des personnages de ce roman d’Eshkol Nevo espère connaître les fameux « jours de miel » plutôt que des « piqûres d’abeille« .
Les aventures des uns et des autres – le maire, le riche donateur, les immigrants russes amateurs d’échecs, en proie à la dépression, Naïm, que l’on soupçonne à tort d’espionner les soldats alors qu’il se passionne d’abord pour les oiseaux – vont connaître, eux aussi, un nouveau destin, dont le « mikvé » aux étranges pouvoirs va être l’épicentre et la cause. Eshkol Nevo, qui écrit avec drôlerie et truculence, livre ici une vision pleine de piquant de la société israélienne d’aujourd’hui, religieux, laïcs, sabras, immigrants, Juifs, Arabes, sans omettre Américains qui s’avancent là en terrain conquis – et font de ce microcosme haut en couleurs le lieu d’un roman vif, alerte, palpitant, traduit avec brio.
Jours de miel d’Eshkol Nevo (traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, Gallimard, 319 pages, 22,50 €).