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Kauffmann à Eylau

Article du 22 février 2016

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On sait qu’il aime les voyages, mais pas n’importe lesquels, raffole des terres de désolation, s’est hasardé aux Kerguelen et en Courlande, a poursuivi Napoléon à Saint-Hélène (« la Chambre Noire de Longwood »), le cherche aujourd’hui à Eylau. Lorsqu’il décide de voyager avec sa famille, sa femme Joëlle et ses deux fils, à l’occasion du bicentenaire de cette bataille décisive qui fut une boucherie, Jean-Paul Kauffmann sait bien qu’il ne s’embarque pas n’importe où. Nous sommes là dans l’enclave de Kaliningrad, qui fut jadis Königsberg, la capitale défunte de ce qui fut la Prusse Orientale, la ville des Chevaliers Teutoniques, celle d’Immanuel Kant et du Roi des Aulnes. Il y cherche des traces anciennes, reste fidèle à ses obsessions. Grand lecteur de Balzac, il y retrouve la silhouette de ce revenant magnifique qu’est le Colonel Chabert (« mort à Eylau« ), qu’incarnèrent à l’écran Raimu, puis Gérard Depardieu.

Jean-Paul Kauffmann © Maurice Rougemont

Il tente de comprendre le pourquoi de tant de morts, scrute un tableau fameux du colonel Gros, le compare à la réalité, interroge le regard vide et la face blême de l’empereur, croise, sur le champ de bataille conservé comme lieu de mémoire, un orateur de russe de talent (Sokolov), un « cuirassier dépressif », une guide récalcitrante, la belle Julia, subit les tendres railleries de ses  fils, cherche à monter sur le fameux clocher qui domina jadis ce paysage si malmené, convoque les ombres de l’Histoire, les généraux d’Empire, Augereau, Davout, Ney, Murat, s’adresse aux morts, leur rendant un visage et une mémoire, dédiant son ouvrage à deux soldats originaires de son village de Saint-Pierre-La-Cour en Mayenne. Il fait à la fois oeuvre d’historien subjectif, de mémorialiste passionné, de critique sceptique. Rien n’échappe au lecteur convoqué en complice, entre le mini-bus loué pour le voyage, les repas pris dans des tavernes russes peu accortes, quoique parfois charmeuses, la nuit tombante, le froid piquant. Jean-Paul Kauffman prend son temps, conte les faits d’armes, s’interroge sur le destin des hommes, des nations mouvantes, des frontières, croit retrouver des racines prussiennes sous les marques féroces du nouvel empire russe. In fine, il aura été au bout de lui-même. Es is gut: ce furent les derniers mots de Kant. Autant dire tout est bien. Ce pourrait être les siens…

Outre-Terre de Jean-Paul Kauffmann (Equateurs, 328 pages, 21,90 €.)

A propos de cet article

Publié le 22 février 2016 par
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Kauffmann à Eylau” : 1 avis

  • Geûens alain

    Belle écriture , très érudite et ponctuée d’anecdotes qui rendent le récit de Kaufmann léger et agréable malgré le caractère étouffant de l’intrigue
    N’est il pas un peu le colonel Chabert lui aussi revenu de l’enfer
    Je trouve suprême que sa découverte de Eylau se soit faite avec son épouse Joëlle et ses deux ados qui ont l’air sympathiques
    Je vais me précipiter chez mon libraire pour acheter la chambre noire de Longwood!

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