Frédéric Vitoux, son île Saint-Louis, il nous l’a tellement racontée, depuis « Sérénissime » jusqu’à « Jours Inquiets dans l’île Saint-Louis« , qu’on pensait n’avait plus rien à en nous dire. C’était mal le connaître. Ce piéton de l’île, élevé ici même et toujours résident amoureux, conte une jolie tranche de vie à travers le prisme d’une table d’habitués de son quartier, aujourd’hui disparue. Des photos en grisé, une atmosphère en sépia, des noms d’inconnus qui se sont succédé ici même, mais surtout des écrivains qui ont fréquenté ce « rendez-vous des mariniers » et les quais de Bourbon, de Béthune ou d’Orléans, et c’est tout un Paris à la fois magique et mesuré qui ressurgit. Frédéric Vitoux, relayé par son épouse Nicole, qui fut ici librairie, joue, pour nous, l’archiviste patient, l’ethnographe dilettante, l’observateur amusé. Céline, Mauriac, Dos Passos, Bernard Frank (dont il tire un bien joli portrait, tendre, affectueux et amusé), Picasso, Cendrars, Aragon, Simenon, sans omettre le méconnu Jean de la Ville de Mirmont ou Cyril Connolly passent là en ombres fuyantes. Vitoux sait les retenir, le temps d’une confidence. On sent bien qu’il tire sur son sujet comme sur un fil, que ce Rendez-Vous des Mariniers, où officiait, notamment, une certaine Lucienne Guérineau, pratiquant avec délicatesse et générosité les mets de son Anjou natal, n’est qu’un prétexte. Mais un motif exquis pour faire revivre un passé disparu et raconter – un peu – sa vie.

Au Rendez-Vous des Mariniers, de Frédéric Vitoux (Fayard , 306 pages, 20 €).