C’est un livre « modianesque » en diable – paru pour la première fois en septembre 1945 à Genève. D’ailleurs, si Patrick Modiano l’a préfacé c’est bien qu’il y a plus qu’une connivence entre l’auteur(e) quasi inconnue qui le signe et conte son itinéraire sous l’occupation avec l’auteur de « Dora Bruder » et de « la Place de l’Etoile« . « Rien où poser sa tête » est le récit sobre, émouvant, déchirant, si prenant, avec parfois un suspense digne d’un roman policier – même si on en connaît l’issue – d’une femme native de Pologne, qui, après avoir fait ses études à la Sorbonne, tint la première librairie française à  Berlin, parvient à s’échapper d’Allemagne en 1939, se réfugie en France, évite la déportation, transite de Paris à Avignon, via Vichy, vers Nice, puis Grenoble et Annecy, avant de pouvoir se réfugier en Suisse. Raconté ainsi, l’ouvrage paraît sinon banal, du moins déjà vu et revu. C’est tout le contraire. Françoise Frenkel raconte sans s’échappe, fuit l’effusion, évite les anathèmes, se contente de décrire à merveille les divers milieux qu’elle rencontre. Ainsi son ouvrage autobiographique atteint vite une valeur universelle. Il frappe, saisit, émeut par son accent de vérité, narre le courage des uns, la lâcheté des autres, les petites trahisons de  certains, leurs fausses fidélités, évoque, sans les railler, les « bons Français » ralliés à Vichy ou qui s’en accommodent, comme ceux qui l’aident, fugitive désespérée, obligée de cacher ses origines, et la sauveront, avec leur sourire, leur complicité amicale, un logement, de faux papiers, une vraie présence. L’écriture est précise, le verbe alerte, le lecteur vite convoqué en confident. In fine, un dossier complet permet de s’interroger sur une destinée presque absente, celle qu’évoque Modiano en liminaire. Et si cet ouvrage retrouvé était un grand livre? Une sorte de Journal d’Anne Frank à l’issue positive…

Rien où poser sa tête, de Françoise Frenkel, préface de Patrick Modiano (L’Arbalète Gallimard, 289 pages, 16,90 €).