Les 400 Coups
« Montréal: la révélation de Guillaume Cantin »
C’est la belle table du moment à l’orée du Vieux Montréal, sis à deux pas du balcon de l’hôtel de ville d’où le Général de Gaulle en 1967 fit son fameux discours sur l’émancipation du Québec. Le cadre de brasserie chic, avec sa grande fresque photographique évoquant une rue à Paris est amusant tout plein. La cuisine du jeune Guillaume Cantin, natif de la rive Sud de Québec, qui a travaillé dans diverses tables de la région (le Clocher Penché, Memento, Panache à l’Auberge Saint Antoine), sans omettre un voyage en Australie, au Bather’s Pavillon à Sidney chez le Québécois Serge Dansereau, devenu une bête à concours et à succès, fait ici merveille.
On songe à un David Toutain canadien qui compose des assiettes jolies et brèves avec acuité, à partir des produits de sa Belle Province, développant un sens du goût sans faille, avec des mariages de saveurs judicieux et piquants. D’ailleurs, nul ici n’en doute car la demeure, où il fut d’abord sous-chef, avant de diriger les fourneaux, est pleine comme un oeuf midi et soir. Ce que vous goûterez là, à table ou au comptoir? Le fin, le frais, le vif du moment, au gré de la saison et du marché.
Cela démarre en douceur avec le concombre en lamelles et en jus, marié au chèvre et à la lavande, avec ses croûtons, histoire de vous mettre en bouche avec fraîcheur. Cela se poursuit avec malice, avec la fine soupe à l’oignon avec esturgon fumé, oseille, sureau, puis le gravelax d’omble chevalier, agastache au goût anisé et mousse fine de rhubarbe. Cela va crescendo avec le toast de cumin à la mousse de foie de volaille et noix du noyer noir, puis le plus classique boudin d’esturgeon fumé.
On s’emballe ensuite pour les linguine au corail de Saint-Jacques, champignons et poudre de laitue de mer. Comme la riche barbue avec sa courge spaghetti, tomate verte, carvi sauvage, bisque de crabe et fine mousse acidulée de pomme fruit. Avant d’achever de rustique façon sur les joues de porc aux chou, champignons portobello, groseille, baie de genièvre fraîche et coriandre.
Reste que la fête ne s’arrête pas au salé. Témoins les jolis issues gourmandes que constituent, après l’intermède du brie paysan aux cerises de Montmorency, la tartelette chocolat noir Illanka 63 % avec arachide, sorbet raisin et caramel à la banane, la crème de citron avec sorbet pêche, crumble d’avoine, meringue croquante, basilic thaï ou encore la glace rhubarbe avec chocolat blanc, vanille, gingembre.
Alliances de goût justes, mariages bien dosés, sans bling ni bling ni produit de luxe, qu’escortent des vins sans emphase (comme le bourgogne blanc hautes côtes de Nuits Clos des Oiseaux du domaine Bonnardot ou le si fruité crozes hermitage de Rémy Nodin à Saint Péray), avec un service explicatif et volontiers pédagogue – auquel on a été fort peu habitué dans les tables en vogue de Montréal (on songe à Lili.Co ou à H4C, d’assez triste mémoire de ce point de vue) -: bref, on sent qu’il se passe quelque chose de grand dans cette maison rare. Et l’on prédit, sans nulle crainte de se tromper, un bel avenir au surdoué Guillaume Cantin.