Le Pressoir d'Argent au Grand Hôtel
« Bordeaux: Gordon c’est Gilad »
Gordon et ses rythmes, Gordon Ramsay moi-même maître du monde, Gordon l’homme aux trente demeures et aux belles étoiles (dont 3 à Londres, sur Royal Chelsea Hospital Road), on connaît par coeur. Le voilà désormais signant une carte établie avec son adjoint Gilad Peled à Bordeaux dans le cadre du Grand Hôtel et l’on cherche sa manière, sa signature, pour ne pas dire son âme. On fait alors fausse route. Grand chef voyageur et globe trotter, pédagogue et docteur ès bonnes manières comme son alter ego de Cauchemar en Cuisine, Philippe Etchebest, qui crèche en face, Gordon Ramsay n’a ni âme, ni état d’âme. Mais il est doté d’un savoir-faire indéniable et surtout d’un art de transmettre imparable.
Sa cuisine? Une partition passe-partout, apprise notamment en France chez Joël Robuchon et Guy Savoy par un ex footballeur des Glasgow Rangers blessé au genou, devenu un chef séducteur, compris par tous, aimé par le plus grand nombre. Pour Etchebest, recordman français des fans sur Facebook, on parle de 460 000 fans. Pour Gordon, star planétaire, c’est dix fois plus. Comme quoi la magie de la télé en langue anglaise est imbattable. Mais l’homme de « Kitchen Nightmares » a su déléguer ici ou là avec habileté. Et, à Bordeaux, il a fait un choix insolite et fort bien vu.
Pas du tout bordelais, encore moins aquitain, Gilad Peled, natif de Haïfa, formé à Londres à l’école Cordon Bleu, passé dans les diverses demeures de la Ramsay connection, sans omettre un détour par Tel Aviv (au restaurant russe Pouchkine, dans la rue Montefiore) et un aller/retour bref, neuf mois durant, en Suisse côté Valais à Leukerbad (autrement dit Loèche-les-Bains) dans le Relais & Châteaux la Source des Alpes, connaît la musique. En samouraï de la cuisine ou plutôt en fier sabra des fourneaux, il s’est adapté à son neuf terroir avec brio.
Flanqué d’une équipe de choix, un adjoint breton en cuisine et quelques pros de la salle déjà connus du temps de Pascal Nibaudeau, il raconte la cuisine de Gironde et de Bordeaux avec une maîtrise rare. Au menu, des choses fines, délicates, proposées avec componction et légèreté au gré d’un grand menu savant font feu de tout bois, scintillent, quoiqu’a mezza voce, sans forcer la note. Des exemples ?
Le brillat-savarin avec ses légumes bios craquants d’Aire-sur-Adour dans les Landes, le tartare de boeuf de Bazas au caviar d’Aquitaine et sa crème d’huître, l’oeuf bio à la châtaigne avec oignons, cèpes, jambon noir de Bigorre, le tronçon de sole d’Arcachon en écailles de truffes et pommes de terre avec duxelles de champignons et vin jaune ou encore le chevreuil légèrement fumé avec son foie gras façon Rossini et ses choux rouges, plus panais en purée, sauce chocolat et Pedro Jimenez convainquent sans mal que quelque chose de fin, de grand, se passe ici comme un avènement.
Il y a encore le tendre filet de veau issu de blonde d’Aquitaine avec jarret braisé, moelle, légumes tubéreux et consommé infusé aux herbes maraîchères: bref, du rustique chic qui joue avec maîtrise le grand air du terroir local. Même si le homard à la presse d’argent comme avant, avec sa vapeur de feuilles de citron, maïs, chanterelles jaunes, courgettes, bisque de corail, qui fait comme un bel exercice de style au guéridon en salle, indique que la maison n’a pas renié sa vocation première de grande demeure bourgeoise. Ni son enseigne – le lieu était alors conseillé par Yves Mattagne, venu du SAS Sea Grill de Bruxelles.
On achève sur des desserts de choix (mousse d’ananas au citron vert avec son sorbet majolaine et estragon, feuille à feuille à la noisette du Piémont et rhum vieux plus glace « noircie » à la vanille de Tahiti), sans omettre des petits fours splendides (mini Tatin, cornet citron, feuilles chocolat), ni une carte de grands crus à tous les prix qui n’oublie pas les « autres » vignobles et fait la part aux belles découvertes. Comme cet insolite blanc sec de Sigalas-Rabaud, ce montlouis La Taille aux Loups cuvée Rémus de Jacky Blot, ce Roc de Cambes des Mitajvile en 2008 encore sur la réserve. Voilà une belle demeure en renaissance. Et son jeune chef conquérant. A saluer comme tel.
Gilles : si tu lis les commentaires, un petit passage là :
http://gje.mabulle.com/index.php/2015/10/17/207470-ramsey-contre-etchebest-vainqueurs-magrez-robuchon-et-dan
Porte toi bien !
Article impeccable en rapport avec les mets et les qualités du chef. néanmoins, et c’est là qu’on voit la différence avec les libertés plus grandes sur les blogs, aucune mention des conditions de réservation particulièrement désagréables.
… sans parler des vins qui sont quand même là pour charger la barque !