Peut-t-on connaître l’amour à 60 ans? C’est ce qui arrive, comme un choc lumineux, aux deux héros, usés, fatigués par la vie, passablement désenchantés, de Denis Tillinac, de chaque côté de la Loire. L’un est médecin de campagne à Chaumont, l’autre galeriste à Blois. Ils sont mariés, mènent une vie tranquille et même pépère, mais l’éblouissement durable peut éclairer la grisaille de leurs jours. Denis Tillinac, qui poursuit la veine romantique et tendre de la Nuit étoilée, a le don pour évoquer les amours de province, les liens qui se tissent et se défont, la jalousie qui naît, grandit, rapetisse, les décors linéaires, précis ou flous comme les raccourcis géographiques en contrepoint. François et Hélène, ses deux héros presqu’ordinaires, content à tour de rôle leur version de cette aventure amoureuse qui n’est pas celle d’un soir, mais qui est prête à durer et durera encore. Les silences de leurs conjoints, le machisme de François, Hélène qui fait semblant de partir et accepte la situation bancale, les rencontres en secrets, le regard des autres, leur complicité parfois: voilà quelques éléments d’une intrigue lâche mais prenante. Il y a, bien sûr, les salves de Tillinac contre les aléas de la modernité qu’incarne Franck, le mari d’Hélène, assoiffé de réussite, et le respect pour Claire, la parfaite épouse de François, issue d’une longue lignée bourgeoise, qui semble tout accepter. Le talent de Tillinac, l’évocation de ses nostalgies, son écriture sobre et soyeuse fait admettre ce qui pourrait ailleurs passer pour convenu. On retient aisément cette nuit grisailleuse qui nous entraine aussi vers Cahors, Saint-Médard-Catus et les parages du Quercy, tout en lorgnant un brin vers Paris. Bref, voilà du Tillinac très pur, en concentré non dilué. A déguster avec lenteur.

Retiens ma nuit de Denis Tillinac (Plon, 169 pages, 17,90 €).