Le Bristol
« Un repas d’hiver et de fête au Bristol (Paris 8e) »
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C’est la dernière saison d’hiver dans la grande salle boisée en rotonde du Bristol. L’an prochain, la demeure sera totalement déplacée face au jardin, dans ce qui est, présentement, la table d’été. Donc, si vous aimez cette vaste pièce noble, très « Mitteleuropa » avec ses boiseries chaleureuses et élégantes, allez y, c’est maintenant qu’il faut la (re)découvrir avant qu’elle ne soit transformée en salon de réception. En tout cas, jusqu’au 30 avril prochain.
Hier soir, pour un parterre chic et attentif, l’équipe d’Eric Fréchon (qui fait actuellement la promotion de la maison en Russie), sous la houlette de son adjoint Franck Leroy exécutait, comme à la parade, une partition ciselée au rythme des produits de saison. La petite boîte de caviar de Sologne avec sa mousseline de pomme ratte fumée au haddock, son croustillant de sarrasin à la crème aigrelette (j’ai goûté quelque chose dans ce genre au Régent de Bordeaux, sous la patte de Pascal Nibeaudau, mais drivé de loin par Yves Mattagne du SAS Sea Grill de Bruxelles, avec une boîte de caviar de Sologne mais sur du concombre émincé à la place de la pomme de terre et une langoustine en carpaccio, le tout flanqué d’une gaufre aux algues et d’une crème aigrelette à la vodka), les spaghetti à la truffe blanche, champignons de Paris, jus de vert de laitue et éclats de noisette (reprenant une présentation de Frédy Girardet à Crisser, reprise elle même par Thierry Marx à Cordeillan-Bages, mais ce mode là a fait le tour du monde), les macaronis farcis d’artichauts et foie gras à la truffe noire, gratinés au vieux parmesan (qu’on vit d’abord au Lutétia avec Philippe Renard, mais aussi du temps de Nomicos à la Grande Cascade, avant qu’il ne l’introduise chez Lasserre) faisaient merveille.
Certes, vous allez dire que la grande cuisine se repasse ses idées d’une maison l’autre. Et que rien ne s’invente totalement. Et vous n’aurez pas tort. Mais ce qui se passe au Bristol, sous la houlette d’Eric Fréchon, qui fut jadis le meilleur ouvrier – MOF, svp – de Christian Constant au temps des Ambassadeurs au Crillon témoigne d’une exécution parfaite, minutieuse, ciselée, sur bon tempo, sans nulle fausse note. Justesse des goûts, précision des cuissons, avec des produits « topissimes », auquel on ajoutera un registre de plats principaux de grande rigueur: noix de saint jacques à la plancha avec gnocchis de pommes de terre à la truffe blanche et jus de cresson ou selle d’agneau en croûte d’algue nori avec d’autres gnocchis aux herbes, purée de colrave, jus de déglaçage.
Il y a enfin ce magnifique couplet sur un thème classique et retrouvé: la poularde de Bresse cuite en vessie, son suprême demeuré moelleux, sa royale d’abats au foie gras, son sauté d’écrevisses, sa fine sauce vin jaune, puis les cuisses avec bouillon de poireaux et pommes de terre truffé : bref, un chef d’oeuvre du genre classique où l’art de Fréchon est parfaitement à son aise, et qui donne au service de salle sous la direction de Frédéric Kaiser, l’occasion d’un splendide exercice de style de découpe au guéridon.
On n’oubliera pas, in fine, d’adresser un coup de chapeau aux joli et créatifs desserts de Laurent Jeannin: avec cette variation glacée sur le thème de la vanille de Madagascar, présentée givrée, avec du caramel mou au beurre salé demi sel, un praliné aux noix de pécan et noisettes (miam, miam…): à retomber en enfance! Les grands vins sélectionnés par Marco Pelletier, dont le meursault des comtes laffon, le glorieux château Latour 1990, et, in fine, cet insolite pineau des Charentes millésimé au nez miellé, viennent en contrepoint de prestige d’une grande table de fête et d’apparat. On ne fait pas tous les jours un repas au Bristol. Mais, pour fêter l’entrée chauvine du repas français au patrimoine mondial et immatériel (!!!) de l’humanité par la très chère UNESCO, il n’y avait pas de mieux choisi que ce lieu hors cadre, sis à deux pas du ministère de l’intérieur et du palais de l’Elysée, propriété d’une famille allemande – les Oetker -, après une famille française – les Jammet-, juste pour rendre hommage à cette tradition (familiale et) glorieuse qui nous est chère.