L’impossible « Richie » Descoings vu par Raphaëlle Bacqué

Article du 2 mai 2015

Elle avait consacré une biographie cinglante au « Dernier Mort de Mitterrand« , alias François de Grossouvre, retrouvé suicidé dans son bureau de l’Elysée. Voilà aujourd’hui Raphaële Bacqué livrant sa vérité sur Richard Descoings, ci-devant directeur de Sciences Po, ex-conseiller d’Etat, énarque, ancien élève de la rue St Guillaume, décédé dans des conditions suspectes à New-York, retrouvé nu sur son lit d’hôtel. On apprend, sous sa plume sans concession, froide, sobre, efficace, dans ce qui ressemble, à nouveau, à un brillant thriller politique, sa vie tumultueuse, sa fulgurante ascension, sa « presque » nomination à un poste de ministre sous Sarkozy, lui l’homme de gauche prudent, compagnon de Guillaume Pépy, eh oui, notre Guillaume, président de la SNCF, son appartenance aux cercles gays, à la fois cofondateur de Aides, habitué plus qu’assidu des boîtes en vogue, se livrant à des excès en tout genre et fonctionnaire réservé, le jour, troquant, le soir, son costume bleu marine de haut fonctionnaire pour un uniforme déjanté – pantalon de cuir serré et tee-shirt moulant.

« Richie? » Un personnage étrange, double, triple, élève falot à l’ENA, se rattrapant par la suite, mauvais orateur,mais séducteur né, charmant les ministres, séduisant les étudiants et même les femmes (il épousera celle qui sera sa collaboratrice à l’IEP, Nadia Marik). Bref, « grand chef un peu fêlé, nabab exigeant, enfant perdu« , dit Bacqué, qui ne semble guère avoir de sympathie particulière pour son héros qu’elle a peine croisé, mais dont elle relate avec une abondance de détails glanés ici et là avec ténacité l’aura de pop star auprès de ses étudiants, vite fascinés par le personnage, et qui, dans le mythique amphi Boutmy de la rue St Guillaume, l’accueillent au son de « Richie, Richie, Richie« .

Richard Descoings © DR

Richard Descoings © DR

Si le personnage – érotomane, bi-polaire, drogué, dépressif, alcoolique, et, tout à la fois, éducateur révolutionnaire, voulant faire rentrer les étudiants issus de milieux défavorisés à Sciences Po – déroute, c’est que, hormis sa face blême, sa vigueur, sa volonté, son entregent, sa boulimie de travail fascinent sans réserve. Raphaëlle s’interroge sur le pouvoir qu’il exerce sur les uns et les autres, les chemins de la réussite qu’il emprunte, son habileté manœuvrière, même s’il lui arrive de créer couramment le scandale, à Paris, Londres ou Berlin, entraînant sa cohorte d’étudiants à la conquête du monde… et des dancings européens, débarquant dans une réunion ministérielle, l’oeil vague, le visage hâve, l’haleine empuantie d’alcool, la chemise déchirée.

Son but poursuivi avec ardeur? Faire de Sciences Po une école à résonance internationale, une sorte de Harvard à la française. Cela valait-il un livre se demandera-t-on? Mais si cet anti-héros – comme d’ailleurs Grossouvre – rebute ou déroute, si le personnage fait scandale – pas seulement par sa fréquentation des back rooms, ses folles nuits au Palace ou au Queens, son usage de substances illicites, son usage intensif de Facebook où il se révèle à ses étudiants sous un jour étrange, mais aussi la rémunération et les primes qu’il s’attribue tout en se dédiant aux plus démunis -, il révèle à travers lui tout un pan de la société politique qu’on ignorait.

Le quidam moyen va donc trouver là matière à s’étonner, s’émouvoir, se surprendre. Les anciens élèves de Sciences Po qui ne l’ont pas connu – j’en suis -, vont trouver ses méthodes, son comportement, son pouvoir absolutiste pour le moins étrange, sinon carrément scandaleux. Raphaëlle Bacqué, avec son « Richie », en aura fait un personnage mythique, un peu Jim Morisson, un brin Tapie, un tantinet Strauss-Kahn (qui fut d’ailleurs prof’ à Sciences Po sous sa gouverne), et beaucoup Rastignac. Bref, un mélange étrange qui n’appartenait sans doute qu’à lui. Ce livre-ci – juste, injuste, on ne sait trop – constitue son épitaphe au noir. Brillantissime.

Raphaëlle Bacqué© Maurice Rougemont

Raphaëlle Bacqué© Maurice Rougemont

Richie, de Raphaëlle Bacquié (Grasset, 284 pages, 18 €)

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Publié le 2 mai 2015 par

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