Pierre Gagnaire

Pierre Gagnaire chez lui © GP

Un repas chez Pierre Gagnaire, c’est toujours un moment de folie douce. Il y a le festival des amuse-gueule, le rite des entrées à rallonge, les mets de saison en variante amusante et changeante, les desserts en deux actes, après les pré desserts, comme un instant de fête. Mais une fête studieuse, rassénérante, construite, savante. Bref, ce grand gaillard savant, qui publie ces temps ci un ouvrage jazzy avec son camarade musicien Chilly Gonzalès (« Bande Originale » chez Flammarion) recrée chez lui la cuisine chaque jour.

Le service chez Gagnaire © GP

Avec mon pote Jacques Ballarin, chroniqueur gourmet et gourmand à Sud Ouest, venu tout exprès à Paris m’interroger sur les blogs, la cuisine, l’air du temps, les guides, leur avenir, la gourmandise française et la bulle du conceptualisme moléculaire qui retombe, nous avons apprécié la manière classique de Gagnaire, au rythme de l’automne. Les amuse gueule du moment?

Les amuse gueule © GP

Le merlan brillant, son crumble vert de moelle, les palourdes de Belle Ile, l’opaline de raisin en liqueur, la figue sèche au muscat d’Asti, la royale d’étrilles avec ses moules de bouchot au jambon cru, la mousseline de roquette avec sa concassée de kaki, ses tiges de fenouil: bref, de l’air, de l’iode, de l’apaisement, un brin de sérénité.

Navets Buren et gambas de Palamos © GP

Côté hors d’oeuvres, il y a ces saint jacques qui se déclinent en « priestley » de saint jacques à la livèche, la grosse noix de plongée enrobée d’une voile de seiche, l’esthétique « navet Buren », en stries noires, avec sa gelée naturelle de colineau au colombo, les gambas de Palamos aux algues dulce, les clams crus déposés sur une brunoise de potimarron en aigre doux, la noix de saint jacques d’Ecosse avec ses gnocchis de parmesan et quartier d’avocat, sa carotte violette à l’huile d’argan.

Risotto aux saint jacques et truffes blanches © GP

Un festival vous dis-je! Dont on peut sortir avec ces saint jacques posées sur un velouté de potimarron saupoudrées de lamelles de truffes blanches: simplement divins. Le clou du spectacle: un chevreuil avec sa selle poêlée à la cannelle enrobée d’un suc d’agrumes aux graines de coriandre, un velouté de cerfeuil tubéreux, des éclats de châtaignes qui s’échappent d’un cornet comme dans un rêve d’enfant, plus des abricots moelleux. J’oubliais la salade d’accompagnement: friseli d’agria, pétales de nougat citronné.

Chevreuil à la cannelle © GP

On n’oublie pas, in fine, l’admirable jeu du grand dessert jamais trop sucré où les actes 1 et 2 se répondent, avec une cassate façon San Remo au citron à se pâmer, un version légère de la tarte Linzer, un croquant de chocolat façon tiramisu, une poire pochée et sa glace, une meringue rose avec ses fraises des bois et son coulis. J’en oublie, au passage. Un seul plat chez Gagnaire ressemble à tout un repas chez un autre, le génie, la finesse en plus.

Le croquant au chocolat façon tiramisu © GP

Ce chef-là, qui est vous le savez le savant Cosinus de notre cuisine franchouillarde, joue son solo permanent, improvise, recrée le monde des saveurs à sa façon. Le service qui l’escorte est enthousiaste. Les vins de la vallée du Rhône (saint joseph blanc de Cuilleron, côte rôtie de Gérin) font des compagnons sérieux et séveux. Bref, si le bonheur n’est pas là, dans ce cadre chic, boisé, laqué, avec ses oeuvres modernes, ses luminaires contemporains (signé Mouille), on se demande bien où il se trouve.

La Linzer selon Gagnaire © GP